APREMONT, TRUFFE, JAMBON DE BAYONNE...7 SPéCIALITéS CULINAIRES FRANçAISES MODELéES PAR LA GéOLOGIE

Les mouvements de la terre contribuent à définir nos terroirs et à produire les fleurons de notre gastronomie. Tour de France de sept spécialités culinaires modelées par la géologie.

La géologie, souvent associée à l'étude des roches et des reliefs, joue un rôle crucial et souvent méconnu dans la gastronomie française. Les caractéristiques géologiques d'une région déterminent non seulement les paysages, mais aussi les produits alimentaires et les traditions culinaires locales. Des vignobles aux fromages, en passant par la truffe et le jambon de Bayonne, les spécialités culinaires sont souvent le reflet direct de la terre dont elles proviennent.

Les vins d’Apremont et des Abymes (Savoie) : des éboulis propices à la vigne

L’apremont, le plus connu des vins de Savoie, est né d’une catastrophe naturelle : l’effondrement, en 1248, d’un pan du mont Granier (1 933 mètres), sommet alpin du massif de la Chartreuse. À la suite de ce terrible événement – on recensera cinq villages ensevelis et environ un millier de victimes –, des millions de mètres cubes de gravats se sont répandus dans la vallée sur près de 20 kilomètres carrés. Les débris de calcaire ont recouvert les sols, formant ici de petites dépressions qui évolueront en étangs, là des amas rocheux. Sur leurs pentes pierreuses propices à la viticulture (la roche emmagasine la chaleur en journée et la diffuse la nuit), des paysans ont eu l’idée de planter de la vigne et, au XVIIIe siècle, de produire du vin blanc, alors en vogue. Ils ont choisi l’un des cépages les plus réputés de la région, la jacquère, qui apprécie les sols argilo-calcaires et les éboulis. Leurs parcelles forment aujourd’hui les vignobles des Abymes et d’Apremont, les deux plus célèbres crus de Savoie.

L’effondrement d’un pan du mont Granier au XIIIe siècle, sans doute l’un des plus importants qu’a connus l’Europe, a façonné ce vignoble savoyard. Florian Pépellin/Wikimedia Commons

Le jambon de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) : parfumé au sel de la terre

La légende raconte qu’au Moyen Âge, un sanglier blessé, échappé d’une battue, aurait été retrouvé au bout de quelques mois dans une source d’eau salée de Salies-de-Béarn, en parfait état de conservation. L’art de la salaison en Pays basque était né ! Fleuron de cette tradition culinaire, le jambon de Bayonne IGP, obligatoirement salé au sel sec du bassin de l’Adour, continue de faire rayonner les qualités de ce produit, véritable trésor géologique. La particularité de ce sel ? Il n’est pas extrait de marais salants, comme pourrait le laisser penser sa proximité avec l’océan, mais de la terre et des sources d’eau salées que la région recèle. Ces dernières circulent dans un sous-sol forgé au trias, il y a environ 200 millions d’années. À cette époque, un golfe marin sépare le Pays basque et la péninsule Ibérique. Un climat aride va, peu à peu, assécher cette mer par évaporation et les quantités de sel qu’elle contenait vont se déposer au fond. Par l’effet conjugué de mouvements tectoniques, de l’érosion et de la pluie, les sources de Salies-de-Béarn apparaissent, produisant une eau dix fois plus salée que celle de la mer. Une saumure naturelle !

La truffe (Vaucluse) : une perle cachée dans les cailloux

À chaque champignon son sol ! Alors que les cèpes apprécient les terrains siliceux et que les girolles et lactaires sont friands des terres acides et argileuses, les truffes, elles, s’épanouissent dans des zones très calcaires, riches en calcium et où l’eau circule bien. À l’inverse, un sous-sol argileux et peu perméable sera défavorable à ce champignon dit "hypogée", c’est-à-dire vivant sous terre. Avec un peu de flair et d’entraînement, on peut trouver Tuber melanosporum, nom savant de la truffe noire du Périgord, au pied de certains arbres, comme le chêne et le noisetier, dans les massifs forestiers du Luberon ou sur les pentes caillouteuses et bien drainées des contreforts du mont Ventoux. C’est d’ailleurs là qu’est née la trufficulture au XIXe siècle. Le Vaucluse, où se tiennent les deux plus gros marchés professionnels (Carpentras et Richerenches), est toujours le premier département truffier de France.

La truffe, dans le Vaucluse. iStockphoto

Le roquefort et ses caves (Aveyron) : sous le calcaire, le fromage !

Le parc naturel régional des Grands Causses, où est implantée la cité fromagère de Roquefort, tire son nom des vastes plateaux calcaires qui dominent le sud du Massif central. La pluie s’infiltre dans ces terres poreuses, dissolvant la roche et formant de profondes cavités. Qui imaginerait que les prairies arides du plateau du Combalou, où paissent moutons et brebis, abritent en leur sous-sol un impressionnant réseau de grottes naturelles, de gouffres et de galeries ? C’est dans ces anfractuosités aménagées par l’humain que, depuis le Moyen Âge, est affiné le roquefort, le roi des fromages. Les failles dans la roche calcaire et les éboulements ont généré de larges fissures appelées les "fleurines". Ce sont elles qui assurent la ventilation parfaite des caves et permettent une circulation optimale de Penicillium roqueforti, cette moisissure donnant au roquefort son caractère et sa singularité.

Eric Teissedre / Photononstop

Le porc nustrale (Corse) : un sol granitique et des châtaignes pour une viande goûtue

Prisuttu (jambon cru), lonzu (longe séchée), coppa (échine séchée)… Tout est bon dans le porcu nustrale ! Ce cochon endémique de Corse fait la réputation de la charcuterie artisanale de l’île, reconnue par une AOP en 2012. Le secret des arômes de noisette de sa viande persillée ? Depuis le néolithique, l’élevage et l’alimentation de ce porc – un animal robuste et rustique, adapté aux reliefs accidentés de l’île – obéit aux mêmes exigences : herbe fraîche sur les estives d’été puis, à l’automne, ventrées de châtaignes dodues. C’est l’autre pépite culinaire de l’île. Très nutritive, elle n’aime rien tant que les terrains granitiques où prospère son arbre, le châtaignier. L’essence est même "calcifuge" : elle ne tolère pas les sols calcaires qui peuvent la rendre malade. "Un sous-sol donne différents types de sols, qui eux-mêmes induisent le développement de tel ou tel type de végétation et, donc, la présence ou non de tel animal", détaille Patrick de Wever, géologue et professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle. Le sous-sol de l’île de Beauté, composé aux deux tiers de granite – vestige d’une chaîne de montagnes formée il y a 380 millions d’années – est parfaitement adapté à la castanéiculture. Une aubaine pour le porc nustrale qui tire de ce superaliment l’essentiel de son gras si goûtu.

Le porc corse Porcu nustrale à Rosazia en Corse-du-Sud. Marcvjnicolas/Wikimedia Commons

Les vins de Chablis (Yonne) : un arôme nourri par des fossiles marins

Un petit goût de pierre à fusil, mélange d’acidité, de salinité et d’odeur légèrement soufrée : tel est l’arôme que décrivent les fins connaisseurs. À quoi tient donc ce caractère subtil, qui fait la renommée des vins de Chablis dans le monde entier ? À la rencontre entre un cépage, le chardonnay, et un sous-sol rempli d’une minuscule huître fossile en forme de virgule ! Exogyra virgula – c’est son nom – vivait dans les mers du jurassique supérieur, il y a environ 150 millions d’années. À l’époque, la Bourgogne était recouverte par des eaux claires et peu profondes qui abritaient ces mollusques. En se déposant au fond de l’eau, les sédiments mêlés aux coquilles des bivalves ont formé les strates d’argile et de calcaire au travers lesquelles les vignes plongent aujourd’hui leurs racines. L’abondance de ces coquillages fossiles – présents dans un étage géologique appelé "kimméridgien" – est même une condition pour obtenir l’AOC chablis. Un cas unique pour un cru. Vin blanc et huîtres : l’accord parfait !

HÉMIS/ALAMY

Le bœuf charolais (Saône-et-Loire) : engraissés à l’herbe de super-prés

Sa réputation n’est plus à faire. La faible teneur en gras du bœuf charolais, sa finesse et sa tendreté en font une viande appréciée des plus grands chefs. Cette qualité, les bovins de race charolaise la doivent à un territoire, le Charolais-Brionnais. Quelques mois avant l’abattage, les animaux sont mis à brouter dans des "prairies d’embouche". On dit alors qu’ils sont "fleuris à l’herbe". La qualité nutritive de ces herbages – si riches que les jeunes veaux peuvent s’y empoisonner, on parle alors de "pré violent" – permet un engraissement rapide. Les animaux n’ont même pas besoin de compléments alimentaires. Ces prairies fertiles sont liées à un type de sous-sol particulier fait de successions de couches peu épaisses, tour à tour perméables (grès, calcaires…) et imperméables (argiles, marnes…), où l’eau circule bien. Formé au jurassique, il y a environ 195 millions d’années, ce substrat est également riche d’un engrais naturel. Il le tire d’un calcaire concentré en phosphate, en fer et en magnésium, offrant une qualité d’herbe constante. Enfin, les haies qui délimitent les parcelles de ce paysage de bocages favorisent la fixation de ces sols et leur humidité. Une appellation d’origine contrôlée (AOC) valorise ce savoir-faire depuis 2010, et une appellation d’origine protégée (AOP) depuis 2014.

Vache de race charolaise avec son veau. Forum concoursvaches.fr/Wikimedia Commons

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