LE CREUSET, STAUB, COOKUT... T’AS QUEL LOOK, COCOTTE ?

La cocotte n’est pas un objet de cuisine comme les autres. Cet objet adoré, lourd de souvenirs et de bons petits plats, se transmet ou se donne. Et lorsqu’on en achète une, son prix, élevé, en fait un petit événement en soi (entre 200 et 400 euros, selon les modèles). Il n’existe que deux usines de fonte émaillée en France à les fabriquer de façon traditionnelle : Staub et Le Creuset. Incassable et inusable, «c’est un objet si sentimental, si précieux que la cocotte a un statut à part dans une cuisine. Quand on sort une cocotte pour cuisiner, c’est qu’il y a de l’amour», explique, un brin ému, Emmanuel Dubs, directeur du groupe allemand Zwilling qui a racheté Staub en 2008. «Quand on parle de la fonte émaillée, les gens, soudain, se mettent spontanément à vous parler de leurs recettes», poursuit le patron, dans la voiture qui nous mène à l’usine, sise à Merville, dans les Hauts-de-France. En Asie, cet objet est si prisé que les cocottes françaises sont vendues comme des objets de luxe. «Certaines familles n’hésitent pas à mettre la cocotte bien en évidence sur la cuisinière. C’est un marqueur de réussite, de statut social élevé», dira plus tard Frédéric Sallé, responsable de la production de Le Creuset, lors de notre visite à Fresnoy-le-Grand (Hauts-de-France), où se trouve l’entreprise.

La fabrication des cocottes en fonte, chez l’une ou l’autre marque, est peu ou prou la même. Chez Staub, les pièces sortent d’un four appelé le cubilot, un tube métallique de très grande hauteur chauffé grâce au coke. Chez Le Creuset, le four est électrique. Dans les deux cas, la fonte, transformée en lave de feu dans un four à 1 500 °C, est versée dans des moules de sable noir, lesquels sont ensuite détruits. Le sable est alors reconstitué et recyclé pour la prochaine ligne de production. Les cocottes qui sortent des fours sont refroidies, séchées, ébarbées (ou meulées) par des robots, puis polies avec une projection de grenailles d’acier. Puis, elles sont émaillées à l’intérieur et à l’extérieur, et peintes au pistolet à peinture. Si les procédés, et même les prix, sont sensiblement les mêmes, quel modèle choisir, et pour quels usages ?

On peut déjà se demander si une cocotte a vraiment sa place dans un mode de vie où l’on passe peu de temps à cuisiner. Quid des petites cuisines où l’on ne trouve pas de place pour ranger un tel engin ? «Contrairement aux idées reçues, la marque Le Creuset intéresse énormément les jeunes, les jeunes couples aussi. On a remarqué un bon énorme de nos ventes pendant le confinement, avec les vidéos où des particuliers utilisaient des cocottes pour faire du pain ou des gâteaux. Pendant cette période, l’usine tournait à plein», explique la responsable marketing, Vanessa Boiteux.

La cocotte n’aurait donc plus cette réputation de vieil objet pour mamies, où mijotaient pendant des heures de l’osso buco ou de la joue de bœuf. «L’objet a une image très positive, associé à une cuisine saine et non grasse, facile à faire. Dans une cocotte, c’est impossible de rater une recette», ajoute Frédéric Sallé. Sans oublier qu’elles sont écologiques, car elles reçoivent et restituent lentement la chaleur de façon uniforme aux aliments, même à feu doux. La technique de la «marmite norvégienne», richement illustrée dans un livre tout juste paru aux éditions Tana, en fait la délicieuse démonstration (1). Une cocotte conserve si bien la chaleur qu’il est possible de la laisser dans un tiroir dans une couverture ou même dans son lit, sous une couette, pour qu’elle termine sa cuisson de façon lente ! De façon plus traditionnelle, elles s’utilisent surtout au four, sur une cuisinière électrique ou au gaz, à induction ou halogène. Mais à quelle cocotte se vouer ?

Le Creuset, l’historique

Chez Le Creuset, la cocotte représente entre 60 % et 70 % des pièces produites par l’usine de Fresnoy-le-Grand. Soit 50 000 m² consacrés à la fonte et à l’émaillage de ces beaux objets par 600 ouvriers, qui tournent toute l’année, aux trois-huit. Dans sa cabine surplombant l’usine, Cédric Sadulski est fondeur et fils de fondeur. Il est très content de nous montrer ses installations : «Moi j’adore ce métier. Il y a toujours quelque chose à faire. Réparer un truc, faire des tests qualité, s’assurer que tout est en ordre», hurle-t-il pour couvrir le bruit assourdissant des machines en contrebas. «Là, la température du four en fusion est à 1 557 °C», pointe-t-il sur un thermomètre électronique. Un rapide coup d’œil à l’intérieur du four de fonte nous éblouit : on y voit une lave éblouissante, jaune et bouillonnante, qui attend d’être coulée dans des moules. L’emblématique couleur orange du logo et des premières cocottes Le Creuset s’inspire de ces nuances de la fonte en fusion.

Marque historique en France, Le Creuset, qui aura 100 ans en 2025, a développé depuis le début des années 90 un important catalogue de coloris (près de cent). L’intérieur de cocottes, en émail crème, et son couvercle intérieur lisse «permettent une bonne répartition de la chaleur et de l’humidité», affirme Vanessa Boiteux. La marque revendique plus de 3 000 références d’objets et accessoires de cuisine en tous genres, dont plus de 70 % sont produits à Fresnoy-le-Grand. Les prix des cocottes varient entre 200 et 600 euros pour le plus grand modèle.

Staub, la référence des chefs

Direction Merville, dans les Hauts-de-France, pour découvrir l’usine Staub, fondée en 1974 par le fantasque Francis Staub, aujourd’hui retraité. «J’ai inventé la fonte émaillée au Moyen Age», rigole ce dernier au téléphone. Décrit par Emmanuel Dubs comme «un vrai personnage», Francis Staub se révèle aussi être plein d’humour : «J’ai changé complètement la gastronomie mondiale avec Robuchon et Bocuse», affirme-t-il sans frémir. A la différence de Le Creuset, les cocottes Staub ont un intérieur noir émaillé, au revêtement légèrement granuleux. Ce choix est apprécié des chefs, car la réaction de Maillard (quand les aliments, violemment saisis, développement des arômes caramélisés et toastés) y serait, selon Francis Staub, plus rapide. «Pour certains plats, comme le risotto, c’est merveilleux car le riz, au contact de ce revêtement rugueux, va libérer plus d’amidon, et sera plus crémeux», affirme Emmanuel Dubs. A la différence de Le Creuset, l’intérieur du couvercle d’une cocotte Staub est recouvert d’une multitude de petits picots qui accumulent puis restituent l’humidité dégagée par la cuisson sous forme de gouttes imprégnées du parfum du plat. «Joël Robuchon, dont la recette phare était la purée, m’a embrassé sur les deux joues la première fois que je l’ai rencontré. Il présentait mes cocottes telles quelles à table, rue Montalembert. Pareil pour Bocuse», poursuit Francis Staub.

Maxime Dubois, directeur technique de Staub, qui nous fait visiter les installations, confirme : «Francis est allé voir les chefs. C’est à la base de la marque : c’est d’abord un produit de gastronomie, très haut de gamme.» Entre 13 000 et 14 000 pièces produites par 350 salariés sortent de l’usine chaque jour, tous modèles confondus. Côté couleurs, les émaux sont fabriqués dans l’usine, tous formulés par le responsable du développement couleur, William Laure. «Certains émaux réagissent différemment en fonction de la chaleur ; on peut avoir des variations importantes d’une cocotte à l’autre, même s’il y a 400 microns de différence, explique-t-il devant un nuancier. On utilise aussi ce qu’on appelle des couleurs majoliques, qui sont plus brillantes ; les Américains en raffolent. En Asie, ils préfèrent les couleurs pastel. Et en France, plus de 50 % de nos cocottes vendues sont en noir mat.» Les prix sont similaires à ceux de Le Creuset.

CookUt, les petits jeunes

Créée il y a bientôt cinq ans, la CookUt a opéré une petite révolution visuelle dans le secteur : moins lourde, moins chère, cette cocotte en aluminium, et non en fonte donc, «est vraiment la cocotte d’Internet. Les réseaux sociaux s’en sont emparés. Les gens postent des vidéos ou des photos à chaque fois qu’ils s’en servent, surtout sur Instagram et TikTok évidemment», s’enthousiasme Grégory Maitre, président fondateur de la marque. «On ne s’adresse pas du tout aux grands chefs, ou à la cuisine des grands-mères ! Les gens utilisent douze fois leur cocotte en fonte dans l’année, alors que nos produits sont à utiliser tous les jours. Notre promesse c’est le même type de cuisson, le même goût, mais avec un produit quatre fois plus léger, polyvalent, facile à utiliser, on peut en faire de la vapeur, du pain, de la friture…» La cocotte en aluminium est revêtue de sable vitrifié «beaucoup plus facile à nettoyer et antiadhérent», ajoute Grégory Maitre (qui n’hésite pas à utiliser aussi des formules de type «on propose une expérience revisitée»). Comme chez Staub, le couvercle intérieur a des picots, et les CookUt sont personnalisables : «On peut choisir le corps, la poignée, les maniques, changer le couvercle, etc. C’est du lifestyle cookwear.» Fabriquées en Chine, elles sont moins chères (entre 129 et 159 euros) et vendues dans 1 500 points de vente en France. Bien que moins éternelle que ses illustres consœurs, cette cocotte peut néanmoins être un premier pas vers les bons petits plats mijotés.

(1) Marmite norvégienne : la magie de la cuisson low-tech en caisson isolant de Raphaële Vidaling, éditions Tana.

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