En toute subjectivité bien sûr, il y a pour nous deux catégories de pizzas : les «gastros» et les autres. Et d’emblée une précision s’impose. Le terme «gastro» recouvre ici deux acceptions : il y a les pizzas «gastros» bling-bling qui prétendent tutoyer les étoiles à coups de truffe et de caviar et les pizzas «gastros» qui crépissent les cuvettes des chiottes. Ces dernières élaborées par des chaînes dont nous tairons ici le nom, par pudeur, ont le don de la faire à l’envers à notre ado en lui fourguant deux pizzas pour le prix d’une avec à l’arrivée une note bien grasse pour le daron. Ces pizzas-là ont des bords aussi larges qu’un trottoir de la rue Saint-Denis. Elles ont la finesse d’un bonnet G de soutien-gorge dans Mega Vixens de Russ Meyer (1976). Elles sont napalmées de tout et n’importe quoi avec la délicatesse d’un B-52 sur la jungle vietnamienne : sauces tomate, barbecue, samouraï, burger ; poulet rôti, merguez, mozzarella, fromage à raclette, crème fraîche légère (un non-sens), émietté de bœuf (vous avez déjà émietté un steak ?), la palme revenant au «double haché au bœuf goût flammé». Rien qu’à l’évocation de cet ingrédient, on est pris d’une furieuse envie de répéter les mots du lieutenant-colonel Bill Kilgore, interprété par Robert Duvall, dans Apocalypse now (1979) : «I love the smell of napalm in the morning.»
Le problème, c’est que l’ado ayant les yeux plus gros que le ventre, on découvre ses rogatons de pizza au petit matin dans le frigo qui fleure l’odeur d’une morgue en panne de réfrigération. On a une vraie vocation d’équarrisseur en les balançant à la poubelle. Et l’on s’en va prier Sainte Rita, l’avocate des causes désespérées, pour que le galapiat ne découvre pas un jour l’existence des distributeurs automatiques de pizza qui fleurissent aujourd’hui sur les parkings des centres commerciaux et près des ronds-points. Les créateurs de ces bunkers à malbouffe mais gros profits ont anticipé l’ire de mézigue en les équipant de caméras de vidéosurveillance. N’empêche qu’on a des envies de lance-roquettes ou d’arrachage au bulldozer façon DAB (distributeurs automatiques de billets) quand on les voit briller dans la nuit. Mais bon, restons calmes et buvons frais.
En préparant par exemple la pizza sicilienne à l’oignon et aux anchois (sfincione) de David Ruggerio dans Saveurs de Naples et de Sicile, souvenirs culinaires d’un Italien new-yorkais (1) Dans les années 90, l’auteur était considéré comme l’un des meilleurs chefs américains avant d’être rattrapé par une affaire de falsification de paiements de carte de crédit. En 2022, il a confié au magazine Vanity Fair avoir mené une double vie entre les fourneaux et la mafia. De sa recette, il dit : «La sfincione tire son nom du terme sicilien signifiant «doux», «léger», référence à sa pâte aérienne. Il existe de nombreuses versions de ce plat en Sicile : celle-ci est l’une de mes préférées ! J’ai toutes les raisons de croire que l’on tient là la pizza originelle !»
Pour la pâte (diamètre de 30 cm), il vous faut 25 cl d’eau chaude ; un sachet de 35 g de levure ; trois tasses de farine (300 g) ; une demi-tasse tasse de pecorino fraîchement râpé (50 g) ; une cuillère à café de sel ; une pincée de poivre noir fraîchement moulu ; trois cuillères à soupe d’huile d’olive vierge extra.
Pour la garniture : trois cuillères à soupe d’huile d’olive vierge extra, quelques gouttes pour graisser le moule ; un gros oignon, pelé et finement tranché ; une gousse d’ail, pelée et émincée ; trois grosses tomates bien mûres, pelées, épépinées et détaillées en dés (hors saison, utilisez de la pulpe de tomate en conserve) ; deux filets d’anchois, hachés ; deux brins d’origan frais, feuilles uniquement ; une demi-tasse de chapelure ; 60 g de fromage caciocavallo (ou de provolone) détaillé en dés d’un centimètre.
Préparation de la pâte : diluez la levure dans l’eau chaude. Dans un saladier, mélangez la farine, le pecorino râpé, le sel et le poivre. Formez un puits au centre et incorporez le mélange levure et eau ; ajoutez deux cuillères à soupe d’huile d’olive et malaxez huit minutes, à la main ou au batteur, jusqu’à l’obtention d’une pâte lisse et élastique. Graissez les parois d’un saladier avec l’huile d’olive restante, déposez la boule de pâte et couvrez d’un film plastique. Laissez reposer une heure, à température ambiante, jusqu’à ce que la pâte double de volume.
Préparation de la garniture : versez deux cuillères à soupe d’huile d’olive dans le fond d’une sauteuse : faites revenir et dorez l’oignon et l’ail dix minutes à feu moyen. Incorporez les tomates, les anchois, l’origan et laissez mijoter dix minutes de plus. Réservez et laissez refroidir. Versez une cuillère à soupe d’huile d’olive dans le fond d’une poêle et mettez la chapelure fraîche à dorer. Graissez une plaque à pizza de quelques gouttes d’huile d’olive : abaissez la pâte et foncez la plaque. Laissez lever trente minutes. Préchauffez le four à 220 degrés. Froncez le bord de pâte, en formant du bout des doigts des cannelures de un centimètre tous les deux centimètres. Répartissez uniformément la moitié de la garniture sur le fond de pâte, jusqu’à un centimètre du bord. Glissez vingt-cinq minutes au four. Sortez du four, nappez du reste de garniture, saupoudrez de fromage râpé, tapissez de chapelure et versez deux cuillères à soupe d’huile d’olive en filet. Passez huit minutes au four : servez immédiatement. S’il vous reste de la pizza, vous pouvez la repasser au four le lendemain.
(1) Ed. Könemann, 2000.
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